- 09 juil. 2025 06:08
#215
La commission des affaires européennes de l’Assemblée a adopté un rapport sur les relations entre l’Europe et la Chine. Rédigé par la députée LFI de Paris, le document prend des orientations très éloignées de celles du gouvernement.
« Ce rapport est, à contre-courant, un rapport profondément pro-français et altermondialiste. » La conclusion de l’« insoumise » Sophia Chikirou est dans la tonalité des 153 pages du rapport sur les relations entre l’Union européenne (UE) et la Chine. La députée de Paris y dresse le réquisitoire de la politique de l’UE, « trop souvent alignée sur la politique américaine vis-à-vis de Pékin ». L’« approche résolument atlantiste adoptée par l’Europe a abouti à une sorte de guerre commerciale contre la Chine, aux effets délétères », écrit-elle.
Mais ce document à la tonalité très politique n’est pas issu de La France insoumise (LFI), dont les positions en soutien à Pékin se sont multipliées ces dernières années. C’est un rapport officiel de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, qui a autorisé sa publication, le 17 juin. Le débat a alors été bref, seuls huit députés étant présents : quatre députés LFI, trois Renaissance et une Rassemblement national. Sur des sujets internationaux sensibles, les rapports de l’Assemblée sont rarement si contraires à la politique gouvernementale.
Le sinologue et politiste Paul Charon craint l’instrumentalisation à venir : « Ce rapport est très positif pour les autorités chinoises. Elles auraient tort de ne pas l’utiliser pour montrer l’absence d’unité au sein des autorités françaises. » Pour un diplomate européen, « quand elle découvrira le rapport, l’ambassade chinoise va être ravie d’enfoncer un coin dans la position française ».
Ainsi, dans ses cinquante recommandations, le rapport appelle à relancer la coopération franco-chinoise – la France « a parfois davantage d’intérêts communs avec la Chine qu’elle n’en a avec ses partenaires du Vieux Continent », quand l’Allemagne, « faux ami de la France », est au centre de nombreux reproches.
Sujets éludés
Le député (Renaissance) du Bas-Rhin Charles Sitzenstuhl regrette un rapport qui a une « tonalité très mélenchoniste ». Pour lui, « tout le raisonnement est construit en opposition aux Etats-Unis, ce qui conduit à une complaisance et une naïveté envers la Chine ». Jean-Luc Mélenchon, cité à quatre reprises, a d’ailleurs été la seule personnalité politique auditionnée. Interrogée, Sophia Chikirou rétorque que d’autres personnalités sollicitées (Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin) n’ont pas répondu.
Selon la députée (Renaissance) des Hauts-de-Seine Constance Le Grip, « tout cela est très orienté et porté par une vision peu réaliste. Il n’y a aucune mention des ingérences étrangères chinoises, alors que le travail est bien documenté sur le sujet ». Pour Sophia Chikirou, « c’est une règle mondiale de tenter d’influencer le voisin. L’Union européenne, la France, les Etats-Unis, le font. Je n’ai pas eu d’éléments particuliers sur les ingérences chinoises et personne ne m’a pointé ce sujet au ministère des affaires étrangères ».
Alors que le rapport aborde des sujets très divers, d’autres sont éludés. La Lituanie, qui a connu un bras de fer avec la Chine, est à peine évoquée. Les menaces sur Taïwan sont abordées dans un encadré intitulé « Refuser de suivre les Etats-Unis dans les provocations, pas d’OTAN en mer de Chine méridionale ». Selon le rapport, on prête à la Chine « des initiatives expansionnistes sans qu’aucun élément probant ni confirmation (…) n’appuie ces accusations ». Mais pour Paul Charon, « la Chine a une politique expansionniste ! Il suffit pour s’en convaincre d’observer son attitude à l’égard des Philippines en mer de Chine méridionale, par exemple ».
Les critiques des fonctionnaires européens et français auditionnés qui ont souligné la politique commerciale agressive de la Chine sont balayées. Pour le rapport, « derrière ces reproches transparaît une méfiance plus profonde, qui semble moins liée aux griefs économiques qu’à l’inconfort suscité par l’ascension d’un modèle non occidental ». La députée regrette l’inefficacité de la politique de sanctions. Selon elle, « la guerre commerciale n’est pas possible compte tenu de notre interdépendance ».
Sophia Chikirou réfute l’appellation de « dictature »
Dans son rapport, Sophia Chikirou loue l’incroyable capacité d’innovation d’un système très vertical. Le « système politique chinois constitue bien plus qu’un cadre institutionnel : il est l’infrastructure politique d’un volontarisme national assumé ». Pour Paul Charon, « ces propos justifient tout simplement la dictature du parti ! ». Au Monde, Sophia Chikirou réfute d’ailleurs l’appellation de « dictature » pour le régime chinois, qui serait « factuellement fausse » : « Une dictature n’est le régime que d’un seul homme, ce qui n’est pas le cas en Chine. »
Le rapport a une genèse complexe. Début 2024, un binôme avait été désigné, associant Sophia Chikirou avec le député (MoDem) des Français établis hors de France, Frédéric Petit. Mais, selon ce dernier, les relations ont été rapidement houleuses, tant les approches étaient antagonistes : « Ma collègue souhaitait absolument aller en Chine, quand je ne voyais pas l’intérêt de me faire balader par les autorités chinoises. » La députée de Paris s’y est d’ailleurs rendue en mars.
Après la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024, Sophia Chikirou souhaitant poursuivre son travail, la mission a été reconstituée en octobre. Mais aucun groupe n’a voulu former un binôme, ce qui est pourtant l’habitude et aurait permis de nuancer le contenu. La fonction de corapporteur est souvent ingrate, d’autant que les travaux de la commission des affaires européennes sont confidentiels – elle siège les mardis après-midi, en même temps que les débats en séance.
Si le travail de Sophia Chikirou a été jugé « conséquent et documenté », l’orientation du rapport a gêné les députés Renaissance de la commission. Mais, après réflexion, ils ne se sont pas opposés à sa publication. Selon l’entourage du président de la commission, Pieyre-Alexandre Anglade, « cela aurait été contraire à l’usage, et aurait créé un précédent ».
Au Parlement, refuser de publier un rapport est rare. Mais les cas se multiplient. Le 18 juin, la commission des finances de l’Assemblée nationale a rejeté un rapport de Vincent Trébuchet (Ardèche, Union des droites pour la République) sur l’agriculture biologique, pour « manque d’honnêteté intellectuelle ». En mars, c’est la commission des lois du Sénat qui avait enterré un rapport sur la Corse, les autres groupes s’opposant aux positions des élus du parti Les Républicains. Les députés Renaissance de la commission des affaires européennes n’ont pas souhaité les suivre. Quitte à frapper du sceau de l’Assemblée nationale un rapport très loin des orientations du gouvernement français.
https://www.lemonde.fr/politique/articl ... Z66PU_iYjQ
« Ce rapport est, à contre-courant, un rapport profondément pro-français et altermondialiste. » La conclusion de l’« insoumise » Sophia Chikirou est dans la tonalité des 153 pages du rapport sur les relations entre l’Union européenne (UE) et la Chine. La députée de Paris y dresse le réquisitoire de la politique de l’UE, « trop souvent alignée sur la politique américaine vis-à-vis de Pékin ». L’« approche résolument atlantiste adoptée par l’Europe a abouti à une sorte de guerre commerciale contre la Chine, aux effets délétères », écrit-elle.
Mais ce document à la tonalité très politique n’est pas issu de La France insoumise (LFI), dont les positions en soutien à Pékin se sont multipliées ces dernières années. C’est un rapport officiel de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, qui a autorisé sa publication, le 17 juin. Le débat a alors été bref, seuls huit députés étant présents : quatre députés LFI, trois Renaissance et une Rassemblement national. Sur des sujets internationaux sensibles, les rapports de l’Assemblée sont rarement si contraires à la politique gouvernementale.
Le sinologue et politiste Paul Charon craint l’instrumentalisation à venir : « Ce rapport est très positif pour les autorités chinoises. Elles auraient tort de ne pas l’utiliser pour montrer l’absence d’unité au sein des autorités françaises. » Pour un diplomate européen, « quand elle découvrira le rapport, l’ambassade chinoise va être ravie d’enfoncer un coin dans la position française ».
Ainsi, dans ses cinquante recommandations, le rapport appelle à relancer la coopération franco-chinoise – la France « a parfois davantage d’intérêts communs avec la Chine qu’elle n’en a avec ses partenaires du Vieux Continent », quand l’Allemagne, « faux ami de la France », est au centre de nombreux reproches.
Sujets éludés
Le député (Renaissance) du Bas-Rhin Charles Sitzenstuhl regrette un rapport qui a une « tonalité très mélenchoniste ». Pour lui, « tout le raisonnement est construit en opposition aux Etats-Unis, ce qui conduit à une complaisance et une naïveté envers la Chine ». Jean-Luc Mélenchon, cité à quatre reprises, a d’ailleurs été la seule personnalité politique auditionnée. Interrogée, Sophia Chikirou rétorque que d’autres personnalités sollicitées (Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin) n’ont pas répondu.
Selon la députée (Renaissance) des Hauts-de-Seine Constance Le Grip, « tout cela est très orienté et porté par une vision peu réaliste. Il n’y a aucune mention des ingérences étrangères chinoises, alors que le travail est bien documenté sur le sujet ». Pour Sophia Chikirou, « c’est une règle mondiale de tenter d’influencer le voisin. L’Union européenne, la France, les Etats-Unis, le font. Je n’ai pas eu d’éléments particuliers sur les ingérences chinoises et personne ne m’a pointé ce sujet au ministère des affaires étrangères ».
Alors que le rapport aborde des sujets très divers, d’autres sont éludés. La Lituanie, qui a connu un bras de fer avec la Chine, est à peine évoquée. Les menaces sur Taïwan sont abordées dans un encadré intitulé « Refuser de suivre les Etats-Unis dans les provocations, pas d’OTAN en mer de Chine méridionale ». Selon le rapport, on prête à la Chine « des initiatives expansionnistes sans qu’aucun élément probant ni confirmation (…) n’appuie ces accusations ». Mais pour Paul Charon, « la Chine a une politique expansionniste ! Il suffit pour s’en convaincre d’observer son attitude à l’égard des Philippines en mer de Chine méridionale, par exemple ».
Les critiques des fonctionnaires européens et français auditionnés qui ont souligné la politique commerciale agressive de la Chine sont balayées. Pour le rapport, « derrière ces reproches transparaît une méfiance plus profonde, qui semble moins liée aux griefs économiques qu’à l’inconfort suscité par l’ascension d’un modèle non occidental ». La députée regrette l’inefficacité de la politique de sanctions. Selon elle, « la guerre commerciale n’est pas possible compte tenu de notre interdépendance ».
Sophia Chikirou réfute l’appellation de « dictature »
Dans son rapport, Sophia Chikirou loue l’incroyable capacité d’innovation d’un système très vertical. Le « système politique chinois constitue bien plus qu’un cadre institutionnel : il est l’infrastructure politique d’un volontarisme national assumé ». Pour Paul Charon, « ces propos justifient tout simplement la dictature du parti ! ». Au Monde, Sophia Chikirou réfute d’ailleurs l’appellation de « dictature » pour le régime chinois, qui serait « factuellement fausse » : « Une dictature n’est le régime que d’un seul homme, ce qui n’est pas le cas en Chine. »
Le rapport a une genèse complexe. Début 2024, un binôme avait été désigné, associant Sophia Chikirou avec le député (MoDem) des Français établis hors de France, Frédéric Petit. Mais, selon ce dernier, les relations ont été rapidement houleuses, tant les approches étaient antagonistes : « Ma collègue souhaitait absolument aller en Chine, quand je ne voyais pas l’intérêt de me faire balader par les autorités chinoises. » La députée de Paris s’y est d’ailleurs rendue en mars.
Après la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024, Sophia Chikirou souhaitant poursuivre son travail, la mission a été reconstituée en octobre. Mais aucun groupe n’a voulu former un binôme, ce qui est pourtant l’habitude et aurait permis de nuancer le contenu. La fonction de corapporteur est souvent ingrate, d’autant que les travaux de la commission des affaires européennes sont confidentiels – elle siège les mardis après-midi, en même temps que les débats en séance.
Si le travail de Sophia Chikirou a été jugé « conséquent et documenté », l’orientation du rapport a gêné les députés Renaissance de la commission. Mais, après réflexion, ils ne se sont pas opposés à sa publication. Selon l’entourage du président de la commission, Pieyre-Alexandre Anglade, « cela aurait été contraire à l’usage, et aurait créé un précédent ».
Au Parlement, refuser de publier un rapport est rare. Mais les cas se multiplient. Le 18 juin, la commission des finances de l’Assemblée nationale a rejeté un rapport de Vincent Trébuchet (Ardèche, Union des droites pour la République) sur l’agriculture biologique, pour « manque d’honnêteté intellectuelle ». En mars, c’est la commission des lois du Sénat qui avait enterré un rapport sur la Corse, les autres groupes s’opposant aux positions des élus du parti Les Républicains. Les députés Renaissance de la commission des affaires européennes n’ont pas souhaité les suivre. Quitte à frapper du sceau de l’Assemblée nationale un rapport très loin des orientations du gouvernement français.
https://www.lemonde.fr/politique/articl ... Z66PU_iYjQ